Nous sommes les témoins d’un jeu d’acteur exceptionnel (je n’ai jamais vu du semblable au Théâtre Hongrois de Cluj), tout est mis dans une forme simple, celle du quotidien (un jeu subtile, comme on l’appelle dans la littérature de spécialité), avec spontanéité, un réalisme « petit », mais sans être théâtral ; un jeu qui ne permet pas les développements émotionnels, les fioritures. Comme s’il était la vie même… Mais il ne l’est pas, évidemment, et les lunettes VR représentent la principale modalité de distanciation, une esthétisation de ce quotidien.
Les comédiens parlent ce langage artistique d’une manière magistrale, Miklós Bács m’a surprise spécialement dans le rôle du père, du médecin. Je ne me rappelle pas avoir vu une approche similaire tout au long de sa carrière. Ferenc Sinkó, Anikó Pethő, Enikő Györgyjakab, Csaba Marosán, Éva Imre et Tekla Tordai – que j’ai vue plus rarement sur la scène – sont magnifiques. Leur coexistence sur scène est implicite, sans effort. Ils donnent parfois l’impression d’improviser, quoiqu’il n’y a la moindre possibilité d’improviser dans les conditions de la synchronisation nécessaire entre le film et l’action sur la scène. Le spectacle est tellement réel qu’il n’est pas possible de s’ennuyer.
Les lunettes apportent le monde des personnages tout près du public, mais sans changer la focalisation spécifique au théâtre (par exemple, il n’y a pas de premiers-plans ou des coupures, seulement des images d’ensemble). Pourtant, c’est comme si nous regardions par un microscope pour étudier de près une fourmilière active, allègre, menant une vie intense. En fait c’est ce qui se passe, littéralement, devant nos yeux.
Andrea Tompa : A hangyák életéből [De la vie des fourmis], Színház.net du 4 mai 2018
Date de la création: 17 février 2018
Une famille désintégrée, confuse, marquée par l'absence de la mère, dans laquelle chacun lutte contre ses propres préjugés et chacun a sa vérité propre. Une image en miniature du monde où nous vivons, de l'impossibilité de discerner, de l'ignorance inévitable, à cause de notre manière de percevoir les choses différemment et de les voir déformées, nous, les gens simples ou les philosophes. Nous vivons avec des lunettes invisibles devant nos yeux, des œillères ou des lentilles colorées – nous voyons ce que nous voulons et qui nous convient de voir, seulement ce qu'on a appris à voir. On tourne en rond, de manière répétitive, et l'on vit dans des réalités parallèles dans nos cerveaux. A-t-on la possibilité de dépasser cette situation ? Peut-être est-ce l'amour inconditionnel la pièce qui manque, comme probablement l'absence de la mère, qu'on ressent dans cette famille.
Adrian Sitaru