Date de la création: 07 janvier 2015
Selon Friedrich Dürrenmatt (La visite de la vieille dame est la seule pièce que l’auteur considère non pas comme une comédie, mais comme une tragicomédie), « nos histoires grotesques recèlent, presque sans exception, le sentiment tragique, en dépit du fait que la tragédie est disparue, de nos jours. La société contemporaine a dévié le lit du fleuve tragique » car, aujourd’hui, ce n’est pas le sort individuel, mais l’histoire même qui anéantit ses protagonistes. C’est à ce caractère tragique que Dürrenmatt s’intéresse dans ses comédies. À l’instar de Shakespeare, dont les comédies sont traversées d’une cruauté dissimulée.
La visite de la vieille dame est la radiographie d’une ville provençale ; d’une ville dont la communauté – organisée dans des « petits cercles publics », des « petits comités et des commissions », des associations, des sociétés et d’autres groupes d’intérêt –, réitérant les clichés ethniques dictés par l’instinct grégaire et saisie de l’arrogance démagogique de sa propre intégrité est, en même temps, profondément corrompue et corruptible.
La vengeance de Claire Zachanassian ne cible pas tant Alfred Ill, celui qui l’avait jadis quittée, mais plutôt cette communauté sombrée dans la médiocrité provençale justement par le dévoilement de la putréfaction morale qui la caractérise. La tragédie – écrit Dürrenmatt – rend impossible le distanciement, tandis que la comédie le créé, presque. Je pense que ce distanciement esthétique indispensable est celui qui peut nous aider à voir plus clairement et à mieux comprendre la communauté dans laquelle nous vivons.
Gábor Tompa