09. 02. 2019

La comédienne Ágnes Kakuts, membre perpétuel du Théâtre Hongrois d’État, a trépassé

Son être était enveloppé d’un air de sainteté. Son visage est resté beau, ses traits délicats, et d’une complexité intemporelle. Car elle a, probablement, accepté le temps comme le don incommensurable d’être ici. Et quelqu’un qui l’accepte comme elle, il va comprendre sans doute que, tout d’abord, le temps ne nous consomme pas, il nous élève.

Le temps l’a élevée, sans doute, ils le savaient tous ceux qu’elle a regardés dans les yeux de tout près. Tout comme les personnes dont elle prenait les mains en leur disant avec sa voix angélique quelque chose qui était toujours direct, réel et vrai.

Elle rayonnait de la pureté et de l’amour, ainsi qu’une manière à part de sentir les gens, de regarder à leur intérieur, mais pas avec le but mesquin des jugements de valeur, mais avec l’humanité irréductible de la compassion et de l’acceptation profonde.

Pour cela il n’y a aucune explication.

On utilise des mots comme saint ou sainteté dans des contextes similaires et, au fur et à mesure qu’on les prononce ou on les écrit, nous voyons combien d’ignorants nous sommes à l’égard de leur vrai sens. Mais on les note et on les dit quand même, car la personne d’Ágnes Kakuts, nos rencontres et conversations évoquées, sa plainte heureuse et son rire d’une beauté incroyable justifient le sens du mot.

Les mots saint et sainteté me rappellent assurément Ági, en effet, et je sais instantanément que le sens du mot l’invoque, et elle, à son tour, donne du sens à la notion.

Je parle d’une personne qui, sans la moindre retenue, s’est enfoncée dans l’abîme de la souffrance humaine et avant tout pas en tant qu’actrice – ce qui n’aurait pas été une chose simple ! – mais en tant que femme, dont les sentiments d’amour et de respect pour László Czikéli, son mari souffrant, n’ont pas été mis à l’épreuve pas une seconde. Elle l’a accompagné au-delà sans la moindre trace de douleur, d’amertume ou de révolte.

De l’amour et le non-rejet de la souffrance de l’autre sont nés l’humour, une modération subtile et un regard profond, un regard que je n’ai vu que chez les saints qui m’ont précédé, qui restent avec moi et dans mon entourage, qui me protègent surtout de moi-même. Et parfois ils protègent les autres, toujours de moi-même, sans doute.

Je souhaite croire qu’Ágnes Kakuts restera, elle aussi, avec moi – j’ai besoin de sa grâce illimitée et unique.

Ses apparitions sur la scène étaient pénétrées d’une sincérité et d’une transparence qui appartiennent à la vertu de ne pas savoir mentir. Ce qui, dans son cas, était une vertu artistique et également une vertu profondément humaine.

Pendant que je me souviens d’elle, sans m’en rendre compte, j’ai écrit sur les Fruits de l’Esprit. En pensant à une vie humaine qui, même si elle a été dérobée par la mort, celle-ci ne peut rien consommer de ce qu’elle, Madame Ágnes de nos cœurs, a reçu comme talent et qu’elle a partagé avec nous, le reste.

Allons énumérer les fruits indestructibles de l’Esprit : amour, paix, joie – oui, même dans la souffrance ! –, patience, bonté, générosité, croyance, douceur et maîtrise de soi. On les a tous les neuf.

Ce n’est qu’Ágnes Kakuts qu’on ne l’a plus, quoique ce n’est pas vrai, car nous savons que le Créateur qui l’a reçue ne révoque pas son esprit d’entre nous.

András Visky
 

Ágnes Kakuts est née le 16 mai 1939 à Eremitu. En 1962 elle a terminé ses études de théâtre à l’Institut de Théâtre Szentgyörgyi István de Târgu-Mureș, et elle est devenue membre du Théâtre Sicule de la même ville. En 1968 elle a rejoint la troupe du Théâtre Szigligeti d’Oradea, puis, en 1976, celle du Théâtre Hongrois d’État de Cluj. Membre de notre compagnie jusqu’en 1987, elle a travaillé par la suite au Théâtre Petőfi de Veszprém (Hongrie). Plus tard elle a joué aussi sur la scène du Théâtre Csokonai de Debrecen, et au Théâtre Bárka de Budapest.

En 2000, Ágnes Kakuts est devenue membre perpétuel de notre théâtre, en 2003 elle a reçu le Prix Déryné.

Ses rôles mémorables dans notre théâtre : Anna (Maxime Gorki : Les Bas-fonds, mise en scène : György Harag, 1979), Madame Kisvicák (Zsigmond Móricz : Je ne peux vivre sans musique, mise en scène :György Harag, 1980), Doamna Kis (Andor Bajor : Un après-midi gris, mise en scène : György Harag, 1981), Madame Dengelegi (Sándor Csép : Nous, Gabriel Bethlen ..., mise en scène : Ferenc Kovács, 1982), Clara (Eugène Labiche : Un chapeau de paille d’Italie, mise en scène : György Harag, 1982), La Tsarine (Mikhail Bulgakov : Ivan Vassilievitch, mise en scène : Gábor Tompa, 1982), Freulein (Alexandru Kirițescu : Les Geais, mise en scène : Ágnes Szabó, 1984), Mirigy (Mihály Vörösmarty : Csongor et Tünde, mise en scène : György Harag, 1984), Eleonora (Slawomir Mrożek: Tango, mise en scène : Gábor Tompa, 1985). Son dernier rôle au théâtre clujois a été en 2008 celui d’Anfissa dans Trois sœurs de Tchekhov, mise en scène par Gábor Tompa. Plus tard elle a présenté une « one-woman show » créé d’après les témoignages d’une femme csángó, spectacle intitulé Vie orpheline.
 

Qu’elle repose en paix !